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AUTOCONSTRUCTION AU SENEGAL
pour protégér les quartiers Diokoul de l'érosion marineDegoo ngir ligeey Jokkul, en lanque wolof: “Aménagement participé de Diokoul”. C’est ainsi qu’on nomme l’action de la population d’un quartier de pêcheurs, à la périphérie de la ville sénégalaise de Rufisque, pour se protéger de l’érosion marine et pour aménager son cadre de vie.
Diokoul est un “village” (ou mieux-dit un quartier) de pêcheurs lébous ‑ les lébous constituent les 57% de la population et les wolofs 30% ‑ et compte environ 16.500 habitants, dont près de 3/5 ont moins de 20 ans. Il peut être considéré comme un quartier urbain parce que seul un canal ‑ un ancien marais ‑ le sépare de la ville coloniale de Rufisque.
Diokoul est composé de cinq sous-quartiers distincts, bien que liés les uns aux autres. Partant de l’ouest, nous trouvons: Diokoul Wague (“les excluse), Diokoul Ndiourène et Diokoul Ndiayène (des noms des familles Ndiour et Ndiaye, qui y habitent) et Diokoul Kaw (“la zone basse”). Ce groupement de quartiers est habité dès le début du XIX siècle et il a crû spontanément. Les plans directeurs l’ont toujours considéré comme un établissement précaire. susceptible de déguerpissement et de démolition. Un cinquième quartier, Diokoul Kher, s’est enfin formé à l’intérieur, éloigné de la plage.
Les familles sont constituées. en moyenne, de neuf personnes. Dans chaque concession(parcelle), plusieurs noyaux familiaux cohabitent, différemment liés entre eux. La polygamie y est traditionnelle: 30% des hommes mariés ont plus d’une femme et chaque femme vit dans una maison à elle.
MENACES ENVIRONNEMENTALES
Les Diokoulois ont un rapport étroit avec la mer. Les vieux se souviennent d’avoir joué sur une large plage, maintenant réduite à quelques mètres de sable couvert de déchets et d’ordures, juste devant les premières maisons. Les habitants du front de mer connaissent, depuis toujours, le grignotage de la plage, surtout au moment des hautes marées de la saison d’hivernage (correspondant à l’été européenne), quand l’eau en vient à envahir les premières maisons et à menacer les mosquées.
Ils connaissent aussi toutes les difficultés d’un environnement où la pollution augmente, où les services d’hygiène et de santé sont absents et où la densification de la population commence à dépasser le seuil de tolérance.
Il y a à Diokoul d’autres problèmes. La précarité institutionnelle du cadre de vie contraste avec l’enracinement des populations ‑ plus des 3/4 des habitants vivent là depuis deux générations et plus de 40 % depuis trois au moins ‑ avec la qualité des habitations, qui ne sont pas du tout précaires, comme l’indiquent certains plans d’urbanisme. Le vrai problème est le manque de garantied’occupation des terres où les gens habitent, faute de titres fonciers légaux.
Diokoul n’étant pas un “lotissement légal”, une hypothèse envisagée per les autorités face à l’avancée de la mer était le déguerpissement des habitants vers l’intérieur, ce qui les couperait de leur milieu essentiel d’existence, puisqu’il s’agit en majorité de pêcheurs.
La densité démographique à Diokoul ‑ de l’ordre de 370 habitants/hectare, ce qui est élevé pour un habitat sans étages ‑ induit d’autres préoccupations: quand dans une famille une trentaine de personnes sont serrées dans une concessio de 350 m2, elle souffre d’un manque presque total d’intimité et d’espace vital. De surcroit. le quartier est sous‑équipé: une seule école pour les 16.000 habitants, pas de dispensaire. Quant à la distribution de l’eau potabie par les bornes-fontaines, elle reste fort insuffisante et cause de lonques queues d’attente. En outre, le mauvais état de certaines bornes-fontaines provoque la formation de mares dans les rues, qui deviennent des foyers de vecteurs de paludisme et d’autres maladies infectieuses. Les installations hygiéniques sont insuffisantes et la plupart des gens se servent de la plage pour leurs besoins. Il a fallu que des habitants se cotisent pour réaliser des édicules sanitaires (douches et latrines publiques). A Diokoul Kaw, en trois mois (octobre-décembre 1981) on a recueilli 1.200.000 F CFA pour reconstruire une latrine publique. A l’intérieur des concessions privées, il n’y a pratiquement point de latrine. Enfin. les rigoles qui traversent le quartier débouchent dans des ensablements et se transforment en étangs d’eaux usées, où les enfants jouent, avec tous les risques de maladies qu’on sait. L’ancien plan directeur prévoyait la démolition pure et simple de ces quartiers.
UNE SOCIÉTÉ COMPLEXE
La structure sociale de Diokoul est complexe. A côté du pouvoir établi traditionnel et au pouvoir politico‑ administratif moderne, tout un réseau de relations existent entre des gens qui ont étudié ensemble, par exemple, ou entre des personnes qui ont des intérêts en commun, comme les pêcheurs. A la structure traditionnelle appartiennent les chefs coutumiers, les imams religieux, le comité de quartier reconnu comme un organismo para‑admininistratif et les responsabies politiques qui habitent le quartier. D’autres structures recoupent les précédentes. Elles vivent de l’adhésion spontanee d’une partie des habitants et ne justifient leur existence que per leur dynamisme et le consensus plus ou moins large et plus ou moins durable des Diokoulois. Tout d’abord, l’organisation hiérarchisée autour des liens de parenté déborde de la maison et s’installe dans tout le quartier, facilitée encore par le fait que l’on se marie parfois entra cousins et très souvent, que l’on trouve épouse dans la parenté, au sens large. Il n’existe pas, d’ailleurs, d’identité parfaite entra l’organisation sociale et l’organisation économique, même si le ménage resta subordonné à la structure patriarcale.
La répartition des travaux s’opère en premier lieu solon le sexe. Les femmes s’occupent à part entière des travaux domestiques, en plus des quelques activités accessoires, agricoles ou marchandes. Les hommes vaquent à diverses occupations, toujours situées à l’extérieur de la maison.
On compte un nombre importent d’associations, de groupements à buts divers.
Les tontines regroupent particulièrement des femmes du quartier, qui cotisent des sommes allant de quelques centaines à plusieurs milliers de francs CFA par mois. Le produit des tontines est partagé à échéances régulières, une semaine ou un mois, et les bénéficiaires ont généralement le choix de décider de la destination de l’argent touché.
D’autres associations regroupent, dans tous les quartiers, un nombre important de membres et présentent donc un potentiel considérable. Leur action est essentiellement sportive, football principalement, mais elles ont également organisé des semaines culturelles avec présentation de films, audition de musique et organisation de danses populaires.
Enfin, l’Association pour la rénovation de Diokout s’est constituée en février 1983, prenant le relais d’une Association pour la Rénovation de Diokoul Waque, qui existait déjà depuis un an et qui avait à son actif des travaux d’autoconstruction: l’aménagement des rivages d’un ruisseau, un pont piétonnier, trois édicules sanitaires au long du rivage. L’autofinancement des travaux a été demandé non seulement aux habitants actuels de Diokoul, mais aussi aux ressortissants émigrés à Dakar ou en Europe.
LA CONJONCTION D’UNE ASSOCIATION LOCALE, D’UNE ONG ET D’APPUIS TECHNIQUES
Le projet d’aménagement participé du quartier Diokoul trouve son origine au cours des années 1980‑1981 dans l’étude d’un groupe d’étudiants eri architecture de l’Ecole Polytechnique Federale de Lausanne. Il s’agissait de construire un système de digues en épis ‑ une douzaine pour tout Diokoul ‑ qui permettraient de briser la force du courant et de faire déposer le sable arraché à la plage. En même temps, ils permettraient aux pêcheurs de continuer leurs activités, puisqu’aucun obstacle ne s’interposerait entre la mer et la plage, où ils tirent leurs pirogues. La pèche avec des filets, ancrée au rivage, ne serait pas, non plus, entravée. La reconstitution d’une série de petites plages rendrait aisés le contróle et la réparation des filets. La même étude suggérait la réalisation d’une serie d’autres équipements hygiénico-sanitaires et sociaux, y compris l’étude d’un veritable plan d’urbanisme autogéré, conçu dans le dessein de sauvegarder l’occupation traditionnelle du quartier et non, comme souvent, de favoriser la rente foncière et immobilière. La réalisation de ce projet était envisagée par la Coopération Suisse. qui se montrait favorable à un financement pour coaguler les énergies de tout Diokoul, autour d’un projet que les gens eux‑mêmes n’avaient pas la capacité de financer.
L’ONG ENDA Tiers-Monde s’engagea à assurer l’appui technique et la coordination financière. En janvier 1983, Alberto ARECCHI, architecte à ENDA, était chargé de l’action.
L’appui technique al les rapporti avec les différents ministères ot instances administratives. assurés per l’architecte d’ENDA, ont été grandement facilités par la présence aussi d’un jeune technicien supérieur d’urbanisme, habitant de Diokoul Ndiourène.
LA POPULATION SUR LE CHANTIER
Une réunion avec quelques responsabies des associations des jeunes permet d’installer les premiers gabions le 7 mai. Les travaux se déroulent pendant les week‑ends et les jours fériés. Les femmes et les enfants contribuent en masse au transport des moellons sur leurs têtes, dans les paniers, avec des sacs à la main, pendant que les hommes travaillent au remplissage des gabions, l’eau arrivant parfois jusqu’à leurs poitrines.
En quinze jours on avait déjà posé et rempli 83 gabions, malgré toutes les difficultés d’approvisionnement du chantier, surtout en ce qui concerne les moellons latéritiques.
Ensuite, l’activité a connu des baisses, du à différentes raisons. La première. et la plus importante du point de vue de la mobilisation populaire, a été une certaine défiance qui s’est répandue dans le milieu des jeunes gens qui travaillaient aux digues, relative à la gestion financière du projet. On avait, d’un côté, l’Association pour la Rénovation de Diokoul, composée de notables et d’adultes, qui n’avait jamais voulu faire participer les jeunes à ses activités et qui, maintenant, ne gérait plus effectivement les actions; d’un autre còté, les jeunes, qui se sentaient engagés individuellement, parmi lesquels de sérieux doutes se répandaient.
Il était question d’une possibie “embauche”, comme salariés, de quelques‑uns d’entre eux dans le cadre du projet, à l’insu des autres, avec le sentiment d’être “trahis”, s’ils travaillaient gratuitement. Un principe clair avait été posé: que la main‑d’oeuvre pour la sauvegarde du quarlier serait fournie gratuitement per les habitants eux-mêmes, pendant les journées fériées. Fallait‑il pour autant exclure un remboursement, pour les quelques personnes engageant une partie plus importante de leur temps, d’autant plus qu’il s’agissait de “collaborateurs” du projet, appelés à manier une certaine partie des financements (celle destinée à l’organisation immédiate du chantier) et à assumer certaines responsabilités au niveau de l’organisation et de la mobilisation? S’agissant d’une coopération internationale, d’un “projet toubab” (= des blancs), certains croyaient en tirer une utilité personnelle et d’autres craignaient de se laisser engager gratuitement dans une opération dont leurs voisins tireraient un profit meilleur.
CONCLUSIONS ‑ PERSPECTIVES
Il est certain, en tout cas, qu’on ne peut réussir sans “mettre dans le coup” les administrations et les organismes en place et sans une organisation globale qui permette, d’une part, de coordonner les efforts isolés (tels ceux de l’association Diakhane) et le potentiel d’investissement humain, et qui ait, d’autre part, une vision d’ensemble des opérations à envisager.
On ne peut agir sans l’administration, mais il ne faut pas s’attendre trop de sa part.
Au cours de la première année trois épis furent complétés et un quatrième fut commencé. L'hivernage, saison des hautes marées, de juin à août de 1984, fut la collaudation du projet-pilote. Dans la zone occidentale de la plage, les marées et les courants déposèrent plus d'un mètre et demi de sable: les gabions en étaient en grande partie recouverts.
Au cours des deux années suivantes, le projet Diokoul continua avec l'assistance technique de l'architette sénégalais Malick Gaye, qui pris la place pour le compte de l'ENDA de l'architecte Arecchi.
Les gens de Diokoul recommencèrent à extraire le sable de la plage pour le vendre aux entreprises du batiment du "Grand Dakar". Cela peut nous faire penser, car le projet voulait faire face à une situation d'instabilité de la plage.
Mais les Diokoulois ont toujours extrait du sable de la plage et des coquillages pour en faire de la chaux
Ils disent: "Nous devons vivre... Si la plage est grignotée, ou ne l'est pas, cela dépend seulement de la volonté d'Allah. Allah donne, Allah enlève".
Pour nous, rationalistes occidentaux, c'est une bonne occasion pour nous confronter avec la vraie signification du terme "développement".
Aménagement et Nature, Paris, n. 76, hiver 1984-85.